Chronique d'un conseiller commercial en détresse

Publié le 7 Juin 2022

 

Julien a pleuré.

Aujourd’hui Julien, conseiller commercial, a pleuré dans son bureau.

Son DSD, Jean-Pierre, est venu à l’agence car il manquait du monde. Je ne vous fais pas la démonstration, sur une équipe de 3 quand il manque quelqu’un…

Le  DSD, Jean-Pierre, souhaite en profiter pour faire un point sur l’activité du conseiller commercial, Julien, en « fin d’après-midi ». Il ne le voit pas souvent à l’agence, mais cette seule perspective du « point en fin d’après-midi » lui donne une boule au ventre. Pourtant Jean-Pierre n’est sûrement pas le plus virulent de l’équipe managériale ; on peut même dire qu’il est assez ouvert à la discussion.

Julien a une première moitié d’année compliqué commercialement. Il le sait. En même temps, ça fait 15 ans qu’il fait son métier. Non pas qu’il n’a jamais voulu évoluer mais les conditions n’étaient jamais réunies. Vous la connaissez la phrase « le bon endroit, le bon moment, la bonne personne ». Il a pourtant connu de très belles performances commerciales, des évaluations « supérieures aux attentes », des challenges remportés. Ce brave Julien a même travaillé en agence Conquête et a tapé à d’innombrables portes d’entrée. Même les entrées d’immeubles qui sentaient l’urine ne lui faisaient pas peur.

Seulement voilà, Julien n’est pas toujours d’accord avec ce qu’on lui demande. Il veut comprendre. Il a souvent d’autres idées. On lui colle l’étiquette du rebelle alors qu’il veut simplement être acteur. Julien a oublié que dans notre organisation ultra-pyramidale, chacun devait rester à sa place. Les idées/informations descendent et ne remontent sûrement pas.

Finalement, quel chef a vraiment envie de travailler avec un profil comme Julien. C’est fatigant de devoir expliquer et donner du sens. Quelle perte de temps et d’énergie. Faîtes ce qu’on vous dit et tout ira bien. Et pour qui se prend-il à vouloir changer la manière de faire. C’est vrai, ça fait des décennies qu’on fait comme ça et ça marche très bien. Julien s’était dit que son RRH allait sûrement détecter ces qualités de créativité, cette envie d’agir. Mais les RRH se sont succédés et rien ne s’est passé. Il a postulé. Souvent. Mais rien ne s’est passé. Alors Julien a fini par se dire qu’il ne méritait sûrement pas d’évoluer. Lui qui ne se pensait « pas si mauvais », l’était sûrement.

Parfois, il postulait en cachette sans en parler à sa famille. Il ne voulait plus affronter le regard de son épouse lorsqu’il rentrait à la maison en lui annonçant un énième refus à sa candidature. Les parents de Julien l’interrogent sur sa « non-évolution », il leur ment. Il leur explique que ce n’est pas ce qu’il souhaite pour l’instant. Qu’il est bien où il est. L’amour-propre est attaqué. L’ego est à genoux. Il est dans l’antichambre de la dépression. Julien doit prendre sur lui. Il doit mettre de la distance. Il vient, il fait son travail et il s’en va. Mode automatique, il s’agit de survie. « Y a-t-il des questions ? » en réunion, se termine toujours par un silence. La main ne se lève plus. D’ailleurs, Julien angoisse de prendre la parole en réunion. Qu’aurait-il à apporter à d’autres collègues plus performants que lui ? Les années, le management, les RH lui ont bien fait comprendre indirectement qu’il avait assez peu de valeur.

Alors voilà, Jean-Pierre, le DSD, vient faire « un point ». Julien sait ce que ça veut dire. Il va manger sa tartine de « points à améliorer », de « pas dans le référentiel », de « ça ne va pas du tout », de « je suis inquiet ». C’est vrai que commercialement c’est compliqué pour Julien depuis quelques semaines. Un portefeuille à 900 clients dans une zone économiquement sinistrée, ça secoue pas mal ; même pour un type expérimenté comme Julien. 900 clients, ça fait beaucoup de mails, d’appels, de « je peux vous voir ? juste 2 minutes », de rendez-vous fixés, subis, forcément. Et puis c’est vrai que les clients sont devenus très exigeants en terme de réactivité. Et ce téléphone qui n’arrête pas de sonner. Même à temps plein, 900 clients ça secoue, alors en y rajoutant un peu d’ETS, un peu d’accueil par-ci, par-là, Julien est très loin des conditions optimales pour sortir du résultat commercial. Et pourtant il s’accroche, il essaie de faire au mieux mais c’est compliqué. La gestion des risques, le KYC, la conformité, Les Connexions, tout est à l’échelle du portefeuille. Gargantuesque.

Pourtant Julien est bien accompagné. Il est inscrit à des micro-ouverts, des formations, des E-learnings, des ateliers, des webConférences, des réunions de secteur hebdomadaires, il écoute des podcast, il lit quotidiennement les dernières publications Cnet.

Surtout il a des animateurs qui viennent l’aider. Des animateurs pour Trajectoire Patrimoine, des animateurs Assurances, des animateurs Modèle Relationnel, des animateurs intra-secteurs, qui n’ont qu’un objectif : accompagner Julien. Chacun explique à Julien que le domaine pour lequel il est là est très important, que c’est un incontournable et qu’il suffit d’avoir des réflexes. Vous l’entendez si souvent « c’est un réflexe à prendre »

Julien se dit qu’avec cette opulence d'accompagnement, vraiment s’il n’y arrive pas, c’est qu’il doit être drôlement mauvais.

17h42. Il est l’heure. Jean-Pierre arrive dans le bureau de Julien. « Ça va ? et l’activité ? ça va en ce moment ? » Julien ne sait pas quoi répondre à cette question. Il tente un « oui ça va » timide pensant que ça suffira. Malheureusement Julien n’y échappera pas. Jean-Pierre lui sert la tartine. Il prouve à Julien par A+B avec chiffres de la synthèse commerciale à l’appui à quel point il est mauvais. Bien sûr Jean-Pierre n’est pas un monstre, il n’utilise pas le terme « mauvais ». Il lui dit qu’il est en décalage, que ça ne va pas et qu’il est inquiet. Jean-Pierre, le DSD, n’est pas le méchant de l’histoire. D’ailleurs, y a-t-il vraiment un méchant dans l’histoire ? Jean-Pierre est simplement le fruit de décennies de pratiques managériales. Une culture d’entreprise qui impose implicitement d’agir de la sorte lorsque l’on devient chef.

Le carburant du moteur de Julien est un mélange de peur, de stress et d’angoisse. Julien va agir pour faire diminuer cet état de tension. En résumé il va agir pour qu’on lui foute la paix, pour faire plaisir au chef et qu’on le laisse tranquille. Jusqu’à la prochaine tartine.

Mais cette fois-ci, Jean-Pierre est un peu désarmé face à l’impuissance de Julien, alors il secoue un peu trop fort. Julien craque. Il pleure. Comme un enfant. Julien se demande s’il n’aura pas les yeux trop rouges en rentrant à la maison ce soir.

 

 

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